Roger & Suzanne

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Nuit à Réchicourt

samedi 29 novembre 2008, par jcR


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Le Français, bien français, encore mis à contribution

Nous avons retrouvé notre interlocuteur qui nous donna un contact et acheta les billets pour Réchicourt. Nous voyagions dans le train comme n’importe quel civil. Arrivés à Réchicourt, nous sommes descendus du train dans le flot des voyageurs, mais nous aperçûmes un contrôle d’identité. Bien sûr, nous n’avions pas les laisser-passer qui convenaient.

Quitte ou double

Nous avons hésité. Mais, je tentai le tout pour le tout. Je me dirigeai vers le poste de contrôle. Mes deux compagnons me suivirent. Sans réduire mon allure, je me rapprochai du militaire allemand chargé du contrôle. Prenant un air naturel, je mis la main à une poche intérieure de ma veste et esquissai la sortie d’un papier (à savoir mon permis de conduire les motos). Et, sans l’avoir réellement sorti, je continuai du même pas. J’eus la mauvaise impression de percevoir le bras de la sentinelle qui s’abattait dans mon dos pour demander leurs papiers à mes deux compagnons [1]. Je ne me suis pas retourné. Il n’était pas question de montrer que j’étais avec eux. Leur évasion a fini à Réchicourt. Il est probable qu’en bleu de travail, avec une casquette SNCF, la sentinelle m’a pris pour un habitué.

Pourtant, nous avions été remarqués.

Je continuais ma marche essayant de ne rien montrer ni intérêt pour ce qui s’était passé, ni accélération de mon allure pouvant faire penser à une fuite. J’entendis un pas pressé qui me suivait. Je continuai toujours du même pas. Quelqu’un courait maintenant derrière moi. Je ne changeais rien. Un jeune garçon me rattrapa et en passant à ma hauteur, il dit : « Vous avez vu, ils ont arrêté deux personnes. »

S’inviter de force

Il y avait de la police partout. J’étais seul et me décourageai. Les Frontaliers qui avaient changé plusieurs fois de nationalité n’étaient pas forcément prêts à aider des prisonniers. Je devais être sur mes gardes. J’étais fatigué, j’avais faim. Je n’étais toujours pas en France car les Allemands avaient annexé l’Alsace et la Lorraine. Réchicourt est à la frontière du côté allemand. Advienne que pourra, au hasard, j’entrai chez un particulier. Je lui ai expliqué ma situation et lui indiqué clairement que je m’en remettais à lui. Il ne voulait rien entendre. Il avait peur, il voulait que je sorte.

La femme se laisse plus facilement apitoyer : « Donnons-lui un peu de pain. » Son époux affolé :« C’est fini, on ne peut plus faire passer personne. Partez ! J’ai déjà des membres de ma famille qui ont été emmenés. Mon frère a été déporté. Les contrôles se multiplient. »

Mais, comme je ne bougeais pas, au bout d’un certain temps : « Vous voulez dormir ici cette nuit ? » « Bien. Alors, montez. Moi, je dors en bas, vous voyez et j’ai un révolver. Et, si vous bougez, avant que vous ne fassiez quoi que ce soit, je vous descends. »

Un vrai lit…

J’ai dormi dans un vrai lit, avec de vrais draps. Il y avait longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Mon hôte forcé, au rez-de-chaussée, son révolver à côté de lui, n’a pas dû dormir beaucoup. Mais avant de partir à l’usine Bata, il me donna rendez-vous à la porte de celle-ci à l’heure de la sortie. J’étais de nouveau dehors.

Notes

[1] Les deux prisonniers qui, comme moi, avaient sauté du train que j’avais pris dans la gare de Neuburxdorf.


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